Retour sur le débat « Les oublié-es de l’enjeu climatique : la question du genre et des migrants »

Mardi 24 novembre s’est tenu le dernier débat du cycle de débats portant sur le climat et la COP21. Quatre intervenants ont abordé la question des migrants climatiques et la question du genre, c’est-à-dire des inégalités hommes-femmes qui se renforcent également avec les conséquences des dérèglements climatiques : Nathalie Ferré, ancienne présidente du GISTI de 2000 à 2008, et toujours membre du bureau de cette association, elle est également professeure en droit privé à l’université Paris 13 ; Chris Blache, consultante en Socio-Ethnographie, Co-fondatrice et Coordinatrice de Genre et Ville ; Emmanuelle Rivier, avocate, co-présidente des élu-es du 20e du groupe écolo et Jérôme Gleizes, enseignant en économie, co-président des élu-es du 20e du groupe écolo.

emmanuelle-rivier-nouveauEmmanuelle Rivier, maire adjointe à la Mairie du 20e, en charge de l’égalité femmes / hommes, l’accès au droit, la vie associative et les droits humains, a introduit le débat. Ces délégations transversales impliquent de travailler en équipe et œuvrent dans le sens de la justice sociale. Il existe un lien fort entre justice sociale et changements climatiques. En effet, les premières victimes de ce dérèglement climatique sont les plus démunis, et notamment les femmes. Ces femmes sont aussi souvent porteuses de solutions, des plus innovantes du fait du rôle qui leur est attribué par la division genrée du travail. En effet, les femmes se sont spécialisées dans le « care », le fait de prendre soin d’autrui, et aussi le care environnemental. Ce sont des solutions qui brisent les frontières entre sphère privée et sphère publique, pour des questions comme l’accès à l’énergie, d’accès aux ressources, d’irrigation douce etc. Les femmes doublement touchées par les dérèglements climatiques sont les femmes, migrantes climatiques.

Capture d’écran 2015-11-02 à 10.53.04Jérôme Gleizes attire l’attention sur le titre du débat : les oublié-es de l’enjeu climatique. En effet, en raison de l’état d’urgence, et de l’annulation de la marche pour le climat le 29 novembre, ces thématiques vont être d’autant plus oubliées. Des groupes de réfugiés avaient l’intention de participer à cette marche. Avec l’annulation des actions citoyennes, il y a une réduction de l’évènement COP21 aux enjeux proprement dit de négociations internationales entre Etats.

Nathalie Ferré remarque que le GISTI n’est pas spécialiste des migrants climatiques. Ils n’en ont jamais vus et personne n’a jamais frappé à la porte pour dire qu’il était un migrant climatique. La démarche du GISTI consiste habituellement à réfléchir en partant du terrain, mais sur cette question, la démarche a été inverse. Le GISTI a organisé, parmi les premiers, une journée d’études intitulée « Quel statut pour les réfugiés environnementaux ? », en 2007.

Nathalie-FerreDe quoi parle-t-on ? Il faut noter la phrase d’accroche du livre « Les migrations environnementales » de Christel Cournil et Benoît Mayer (Presses de Sciences Po, 2014)  : « L’homme s’est toujours adapté aux changements environnementaux en se déplaçant ». Selon des études fiables de 2013, entre 2008 et 2012, entre 16,7 et 42,3 millions de personnes ont été déplacées pour des désastres naturels, essentiellement météorologiques. Les pays d’Asie sont les plus touchés. Chiffrer les déplacements en lien avec des dégradations lentes de l’environnement est plus difficile que ceux liés aux catastrophes naturelles. Le rapport Stern sur l’économie du changement climatique de 2006 considère que 150 à 200 millions de personnes seront déracinées d’ici 2050. Des chiffres avancés par ailleurs sont encore plus alarmants. Il s’avère compliqué de chiffrer ce phénomène précisément.

Les zones les plus menacées sont les zones côtières de faible altitude comme les Maldives ; les deltas comme ceux du Gange et du Mékong ; les mangroves ; les fontes de glace littorales. Dans les pays en développement, il est plus difficile d’y faire face. Par exemple, les Pays Bas et le Bangladesh ont des conditions géographiques similaires, mais les Pays Bas sont plus armés pour y faire face.

S’agissant des termes, il n’y a pas de consensus aujourd’hui sur la qualification idoine. Doit on parler de « réfugiés climatiques », de « migrants environnementaux ». Chaque terme comporte sa part d’instrumentalisation et de stigmatisation. L’emploi de ces termes a aussi une conséquence sur les outils juridiques pour traiter de ces phénomènes. Le terme de migrant induit une idée de choix de partir, de migrer. La nécessité de partir est placée en second plan. D’un point de vue éthique et juridique, cela va justifier plus facilement les refoulements. Le terme de migration implique également l’idée d’un passage de frontières. Or, la plupart des personnes qui se déplacent pour des questions environnementales et/ou climatiques se mettent en réalité à l’abri dans une autre région de leur pays. Beaucoup sont des déplacements internes. Le terme de réfugié renvoie au fait de réclamer un statut a priori plus protecteur. Il s’agit d’un terme plus militant. De plus, la raison du déplacement n’est pas toujours bien clair. Beaucoup d’auteurs soulignent l’interdépendance des causes de départ : les facteurs environnementaux, sociaux, économiques, politiques etc. Les stratégiques familiales sont une autre donnée importante. Ce ne sont jamais les plus pauvres qui partent.

Ensuite, il existe deux termes différents : migrations environnementales ou climatiques. Le terme « environnemental » inclut tous les changements liés à l’environnement. En revanche le terme « climatique » renvoie à un terrain de responsabilités et éthique plus fort. La responsabilité du changement climatique incombe aux pays développés, avec le principe de « pollueur payeur » et ce genre de logiques. Dans l’emploi des termes, il faut mener une réflexion sur les causes des changements climatiques. Ainsi le terme « climatique » renvoie au problème des responsabilités, et le terme « environnemental » se place sur le terrain des redistributions, de la solidarité.

Il faut enfin distinguer entre les migrations temporaires et les migrations définitives.

Depuis plusieurs années, l’Europe se trouve dans un contexte de repli sur soi, bien avant les attentats du 13 novembre, et même avant la crise des réfugiés. Depuis des années, le GISTI constate sur le terrain que les migrants ne sont pas régularisés et que les réfugiés n’obtiennent pas le statut.

S’agissant du statut de réfugié climatique, une personne l’a déjà réclamée. En 2013, un habitant des îles Kiribati, menacées par la montée des eaux, a demandé à la Nouvelle Zélande, le statut de réfugié pour cause de réchauffement climatique. C’est une première mondiale. Cela a donné lieu à un refus. Et le refus était attendu. Cette personne aurait fait appel, mais la fin de la démarche n’est pas connue.

Des chercheurs, des militants, des politiques cherchent des solutions pour protéger juridiquement ces personnes déplacées. Avant d’imaginer un nouveau statut, il existe une boîte à outils juridiques. Certaines conventions internationales traitent du droit des personnes comme le Pacte individuel relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Sa force normative est limitée mais parfois le droit mou finit par faire avancer les choses. A côté des textes internationaux qui gravitent autour de la question des droits de l’Homme, il existe un autre paquet de textes traitant du droit de l’environnement. Mais aucun de ces textes ne parle spécifiquement de la protection de la personne face aux changements environnementaux. Il faut faire preuve d’imagination pour aller rechercher dans ces textes des instruments qui peuvent servir à la protection.

Faut-il vraiment un texte spécifique ? Faut-il raisonner par catégories ? Car le raisonnement par catégorie s’avère souvent exclusif. La définition d’une catégorie implique de déterminer des conditions. Et ces conditions ont pour fonction d’exclure des cas. Il y a toujours des problèmes de bornage. Les catégories juridiques laissent beaucoup de personnes sur les côtés. De plus, le pouvoir politique a tendance à interpréter strictement les catégories.

La convention de Genève de 1951 sur les réfugiés ne prend pas en considération ces aspects. L’interprétation par les pays de la planète diffère l’une de l’autre. Toutefois, les textes fondateurs gouvernant le HCR (Haut commissariat aux réfugiés) indique que « l’objectif fondamental de la convention de Genève vise à fournir une protection internationale à tous ceux qui en ont besoin ». Cette formulation est assez large pour inclure beaucoup de monde.

De plus, l’article 3 de la convention européenne des droits de l’Homme peut être mobilisé pour les réfugiés environnementaux. Il prévoit qu’il faut protéger les personnes qui risquent d’être exposées à la mort, à des traitements inhumains et dégradants.

Parmi les instruments juridiques européens, la Directive de 2001 en cas d’afflux massif de déplacés n’a jamais été utilisé. Il faut en parler pour montrer que le droit n’est pas une fin en soi, il faut aussi le faire vivre.

Plus récemment et en lien avec la COP21, une proposition de résolution du Parlement européen du 28 septembre 2015 qui s’oriente vers un statut européen de réfugié climatique . Cette proposition devrait être défendue lors de la COP21.

Un projet de convention pour les déplacés environnementaux sous le mandat du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies est dans les cartons, avec comme organe de régulation, la Cour de justice de la Haye. Cette convention reconnaît des droits immédiats aux personnes déplacées.

Selon les mots de Claire Rodier, « le danger des solutions juridiques (…) , c’est qu’elles enferment la question dans le cadre général de la non-circulation c’est à dire qu’elles posent des critères en violation du droit fondamental de quitter tout pays, y compris le sien » (« Les migrants de l’environnement – état des lieux et perspectives« , CIRE, juin 2010)

Chris-BlacheChris Blache apporte un éclairage sur d’autres oubliées : les femmes et les migrantes. Genre et Ville ne travaille pas directement sur ces questions. L’association s’intéresse plus particulièrement aux inégalités sur les territoires entre femmes et hommes.

Les populations touchées par les dérèglements climatiques sont généralement les populations les plus pauvres. Or, 70 % de ces pauvres sont des femmes, qui restent sur le terrain. Les personnes qui restent sur le terrain, et qui font pour beaucoup du travail agraire, sont des femmes. Par ailleurs, elles ne détiennent que très peu de pouvoir économique. Elles ne possèdent pas les terres sur lesquelles elles travaillent. Elles ne détiennent qu’1 % du patrimoine foncier.

Elles font partie des déplacées climatiques, qui se distinguent des migrations pour lesquelles on a les moyens de bouger. Pour autant, c’est une population qui migrent mais qui ne migrent pas uniquement en famille. La réalité est plus complexe. Les femmes bougent aussi.

Or, les femmes migrantes sont invisibles. Elles sont invisibles dans les chiffres, dans les mots. A la télévision, on ne les voit pas non plus. Ce sont les hommes qui sont interviewés.

Elles font face à une série de préjugés : les préjugés racistes et xénophobes, les préjugés sexistes, et à des pratiques discriminatoires en tant que femme migrante. Cette dernière dimension se rajoute.

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L’association Adéquations indique « les dérèglements climatiques amplifient les inégalités de sexe, affectent de façon disproportionnée les précaires, parmi lesquels les femmes sont surreprésentées. Assumant une surcharge de travail domestique, ayant un moindre accès aux ressources, à la terre, au crédit, à l’éducation, aux décisions, etc., elles sont particulièrement touchées par les conséquences des dérèglements climatiques. »

Selon Chris Blache, l’approche d’écologie politique féministe doit être capable d’affronter ce déséquilibre par le genre qui affecte les droits et les responsabilités au niveau de la gestion des ressources, de corriger les effets de ce déséquilibre sur la capacité des individus de maintenir des moyens de vie et des usages complexes. Ces dérèglements ne touchent pas seulement la question climatique mais ont trait également à la façon dont on a traité les territoires. les microterritoires n’existent plus. Or, ils permettaient une diversité d’usages, de productions. On constate un double effet de souffrances et d’impacts liés au binôme économie-climat, qui se renforce l’un l’autre. Par exemple, l’agriculture intensive à un impact sur l’irrigation, la sècheresse, le traitement des sols, le climat.

Ainsi, un des enjeux est de réintroduire localement la complexité de traitement des territoires de façon à pouvoir réintroduire une diversité d’alimentation. il faut fournir des sources d’alimentation, des ressources en eau pour ces femmes qui restent sur place. En effet, ce sont les femmes qui vont chercher l’eau, parcourant parfois plusieurs kilomètres.

Chris Blache ne s’attarde pas sur la question du climat ailleurs, mais revient aux migrants et aux personnes qui viennent ici. Comment le changement climatique est vécu ici ? Genre et Ville travaille sur plusieurs territoires : à Paris, mais aussi en dehors, notamment à Villiers le Bel. Les militants de Genre et Ville constatent que beaucoup de personnes sont confrontées à la question du climat. Les restrictions budgétaires des populations touchent en premier lieu les femmes. Ce ne sont pas elles qui bénéficient de l’usage des voitures. De ce fait, elles n’ont plus accès à l’emploi, elles ne peuvent plus sortir de leur environnement. De même, les familles monoparentales concernent à 80 % les femmes. On parle beaucoup des déplacés climatiques, mais on évoque moins souvent ce qui se passe ici de manière diffuse.

A ce propos, la Fondation Jean Jaurès a contacté l’association Genre et Ville pour justement rechercher des infos et des études sur ce qui se passe aujourd’hui dans les villes de France. Par exemple, les logements sociaux sont à peu près entretenus, mais les immeubles des personnes qui ont accédé à la propriété sont dans un état de délabrement total.

Ces personnes sont également impactées par le problème de la malbouffe. Des gens ne peuvent pas s’alimenter correctement car ils se trouvent au bout de la chaîne économique.

Le constat de Genre et Ville est que ces problèmes liés au changement climatique touchent les plus précaires et en premier lieu les femmes. Cette situation n’est pas entièrement visible, mais reste sous jacente.

Partant du constat que les femmes sont dans une situation précaire ici en France, Genre et Ville préconise que les femmes reprennent une forme de pouvoir local. Comment faire pour construire nos villes pour qu’elles soient plus résilientes, et plus faciles d’accès. A l’instar de la ville de Vienne, il s’agit de travailler sur les questions des inégalités de genre dans les espaces publics ou dans les espaces privés. En amenant le problème sur la question du bien commun, le travail s’intéresse à apporter plus d’égalité pour les femmes, et par conséquent pour plus d’égalité entre tout le monde. Par exemple, lorsqu’on construit un immeuble, à coût égal, on peut penser à augmenter les surfaces des parties communes, pour y placer par exemple des machines à laver. Cela se pratique beaucoup aux Etats-Unis. On peut y ajouter un jardin partagé ou jardin ouvrier. Il s’agit de ramener la complexité dans la gestion des villes. Vienne travaille depuis plus de 20 ans sur l’approche intégrée du genre. C’est également l’action de Genre et Ville avec les communes avec lesquelles l’association travaille. De la même manière, pour les transports, il s’agit de renforcer l’intermodalité. Si l’on prend l’exemple d’une famille qui habite à la campagne et qui ne possède qu’une seule voiture, on verra souvent l’homme de la famille utiliser la voiture pour se rendre au travail. La variable d’ajustement sera très souvent les femmes.

Il faut adopter une approche hollistique. Il ne faut pas parler uniquement du climat et de l’économie. Il faut mettre en oeuvre en permanence des ajustement très complexes.

La question du genre, pour Genre et Ville, est en premier lieu de vaincre l’invisibilité de ces problèmes. Les femmes ne sont pas prises en compte de façon spécifique, alors qu’elles subissent des violences spécifiques.

Qu’est-ce qu’une ville accueillante au climat ? Le quartier Fréquel-Fontarabie par exemple rassemble des immeubles passifs, propres, mais l’ensemble est complètement fermé derrière des grilles et des digicodes. Il s’agit d’une prison. Ce lieu constitue une utopie de la transformation de la ville, respectant l’environnement, mais au final, il est complètement fermé.

A Fribourg, l’écoquartier Vauban est remarquable. Bien sûr, on peut dire que c’est un quartier bobo, qu’il s’agit d’une enclave. Les enfants jouent dans la rue. La gestion de l’espace public est collectif. les habitants gèrent collectivement un parking des visiteurs. Comme traditionnellement dans les villages, il y a une gestion commune des nouveaux problèmes qui se posent.

Concernant les problématiques urbaines, les femmes sont invoquées uniquement dans les moments où on veut stériliser la ville. Manuel Valls par exemple terminait ses discours par « pour l’égalité entre les hommes et les femmes » lorsqu’il parlait des dernières mesures sécuritaires. Quand on s’attaque à l’islam, certains hommes politiques mettent en avant la question de la protection des femmes. La guerre en Afghanistan s’appuyait également sur cet argument. L’égalité femme-homme n’intéresse personne, sauf quand il y a un agenda caché. Il faut rester vigilant sur ce point.

emmanuelle-rivier-nouveauEmmanuelle Rivier revient sur la question des migrants et rappelle que la Convention de Genève a été conçue au moment de la guerre froide et dans l’objectif d’accueillir les dissidents soviétiques. Ces personnes étaient accueillies plus volontiers qu’aujourd’hui les réfugiés syriens. L’asile politique est considéré comme plus noble. La Convention de Genève prévoit d’accorder l’asile à des personnes qui sont persécutées ou qui craignent des persécutions, pour une série de motifs : opinion politique, religion, groupe social et sexe.

La question s’est posée d’accorder ce statut de réfugié politique aux femmes maliennes excisées. Or, à cette époque, les autorités françaises étaient paniquées à l’idée d’accorder l’asile à ce groupe de personnes car elles envisageaient l’appel d’air que cela pouvait créer. Toutefois après plusieurs recours, l’asile a été accordée au motif de la catégorie sociale car la catégorie du sexe était jugée beaucoup trop large. Au final, quelques dizaines de maliennes ont obtenu le statut de réfugié.

Emmanuelle Rivier s’avance avec Chris Blache sur le fait que les femmes subissent des violences spécifiques. En effet, selon elle, toutes les politiques publiques sont pensées pour les hommes. Par exemple, toute la politique de dépistage, de prévention et de traitement du VIH est pensé pour les hommes. Pour remédier à ces distorsions, la seule façon consiste à pratiquer la discrimination positive. Cela permet de passer de la parité virtuelle à la parité réelle.

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Le genre arrive très tardivement dans les questions et mouvements féministes, à partir des années 1970. Cette manière de penser et construire des politiques publiques arrive encore plus tardivement en politique. L’idée de cette pensée est que les différences fondamentales entre les sexes sont avant tout des différences socialement construites. Le rôle construit des hommes et des femmes ne découlent pas seulement d’une nature distincte, voire pas du tout. Selon la définition de Laure Bereni dans l’ouvrage Genre et Science politique, « c’est une catégorie d’analyse critique comme rapport de pouvoir construit, relationnel et imbriqué dans d’autres rapports sociaux de pouvoir, que l’on peut définir comme un système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes, hommes, femmes, et entre les valeurs de représentations qui lui sont associées« .

A partir de cette réflexion, comment doit-on utiliser le prisme du genre pour remettre de l’égalité réelle ? Tout d’abord, il faut que la définition et la mise en œuvre des politiques publiques ne soient plus l’apanage des hommes. Dans le 20e, nous avons une parité des élu-es et une femme, maire d’arrondissement et une femme à la Mairie de Paris. Toutefois, il ne suffit pas d’avoir une femme maire pour réduire les inégalités hommes / femmes. Pour rappel, seules 16 % des maires de France et 26 % des parlementaires sont des femmes.

Europe Ecologie – Les Verts est un parti réellement exemplaire sur ce plan. EELV a fait la démonstration que « quand on veut, on peut ». Parmi les élu-es EELV, la parité intégrale règne. Les candidates femmes ne sont pas envoyées dans les circonscriptions qui ne sont pas gagnables. Les statuts d’EELV prévoient qu’il y ait une parité intégrale des élu-es et non pas seulement des candidats. De même la prise de parole dans les réunions est prises en considération au sein d’EELV. Par exemple, on constate que les hommes sont toujours les premiers à s’inscrire pour prendre la parole. Les femmes sont plus en retrait et se sentent moins légitimes. Le parti prévoit donc de rétablir cette distorsion en alternant les prises de parole entre un homme et une femme.

De plus, pour mettre en pratique une égalité réelle, il faut disposer d’une analyse genrée de la situation. Il semblerait que s’élabore prochainement une lecture genrée du budget parisien, pour comprendre quels sont les réels bénéficiaires du budget parisien. De plus, toutes ces inégalités sont acceptables tant qu’elles ne sont pas visibles. Le jour où une analyse genrée du budget montrera que 90 % du budget dédié aux équipements sportifs bénéficie aux hommes, cette situation ne sera plus acceptée car elle sera rendue visible.

Au sein d’une mairie d’arrondissement, le premier levier pour lutter contre ces inégalités consiste à agir en premier lieu auprès des enfants. C’est pourquoi Emmanuelle Rivier a mis en place, en collaboration avec l’Adjoint aux affaires scolaires, une série d’actions en direction des enfants : une exposition intitulée « C’est mon genre » qui présente des panneaux ludiques qui amènent à la réflexion. Cette exposition circule dans les écoles et dans les centres sociaux du 20e. Emmanuelle Rivier appuie le réseau « Violence conjugale 20e » avec le point d’accès au droit. Ce réseau réunit des professionnels qui traitent de la violence conjugale qui est la première cause de violences faites aux femmes. 90 % des violences faites aux femmes sont commises par des personnes proches. Cela concerne 200 000 personnes par an, et les caméras de vidéosurveillance ne servent à rien pour régler ce problème. Selon Emmanuelle Rivier, le rôle d’un élu est de faciliter les initiatives de terrain et non de prendre leur place. Dans sa délégation, l’élue écologiste a également mise en place une journée de formation des médecins généralistes pour aider leurs patientes à parler de leur problème de violence si c’est le cas. Dès le lendemain de cette formation, les médecins avaient déjà relevé des cas. La violence conjugale se place dans le continuum de l’inégalité. Ce qui permet cette violence est le sentiment de la légimité de la commettre, de la légitimité d’asservir et de dominer l’autre. Pour casser le cercle des violences, il faut casser les inégalités.

Dans le 20e, est présent une population qui subit tous les types d’inégalités et de discriminations : ce sont les femmes prostituées chinoises de Belleville. Elles sont migrantes, sans papier, prostituées, pauvres, elles exercent une activité particulièrement dangereuse, elles subissent la violence des clients, des riverains et parfois de la police, ainsi qu’une violence politique car leur activité est déconsidérée mais personne ne leur propose d’alternative, d’aide à la transition. Emmanuelle Rivier avec le Point d’accès aux droits a mis en place des sessions de formation d’actualité aux droits. Les personnes qui ont le plus besoin de ces formations sont celles qui ne savent même pas qu’elles ont des droits. Avant de dire comment mettre en œuvre ces droits, il faut les informer sur quels sont leurs droits.

Avec Frédéric Guerrien, l’élu écologiste à l’Economie sociale et solidaire en mairie du 20e et Antoinette Guhl, l’élue écologiste avec la même délégation mais en mairie de Paris, Emmanuelle Rivier constate que les femmes sont au premier rang dans les diverses associations de l’économie sociale et solidaire. Cette situation reflète encore la nature genrée de la division du travail.

Enfin, on dispose de données genrées touchant au problème de la précarité énergétique car le vote de la loi sur la transition énergétique s’est accompagné d’une étude d’impact. La précarité énergétique est la situation d’une personne qui éprouve des difficultés à disposer de l’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires du fait soit de ses ressources, soit de ses conditions de logement, mais très souvent en raison des deux. Or, on constate que les personnes les plus touchées par la précarité énergétique sont les personnes vivant seules en milieu rural et les familles monoparentales, et donc les femmes. Dans plus de 9 cas sur 10, les familles monoparentales sont des femmes qui vivent seules avec un enfant en bas âge. Et les personnes vivant seules en milieu rurales sont pour la plupart des femmes âgées.

Il faut une réponse adaptée, des aides sociales fléchées, et une discrimination positive et un accès aux droits pour savoir économiser. Le dispositif « Familles à énergie positive » permet d’aider les familles à faire le bilan de leur consommation, de les conseiller pour la réduire, de leur fournir des coupe-veilles etc. Malheureusement, ce dispositif n’est connu que par les catégories les plus élevées. Il faut donc

Capture d’écran 2015-11-02 à 10.53.04Jérôme Gleizes revient à la question des migrants et de la COP21 en apportant un éclairage sur les actions de la Mairie de Paris. Au dernier Conseil de Paris, le thème de la COP21 a été abordé. Un thème est oublié et devient du coup un impensé. Comme Chris Blache le soulignait dans le cas du quartier Fréquel-Fontarabie, il faut penser à l’impact socio-économique des projets. Il ne faut pas créer des fractures urbaines entre ceux qui sont à l’intérieur et ceux qui sont à l’extérieur. Le même problème se pose à la Ville de Paris entre un discours écologiste et un discours environnementaliste. La COP21 illustre ce problème.

Le principal acte politique de la Ville de Paris est de faire l’Appel des 1000 maires . Un partenariat a été mis en place avec la fondation Bloomberg Philanthropies et l’ancien Maire de New York. Les deux villes Paris et New York doivent se mettre d’accord sur la communication, dont notamment la Déclaration qui émanera du Sommet des 1000 maires. Jérôme Gleizes se demande donc où se situe l’élaboration collective dans cette démarche. De plus, ce ne sont que les collectivités territoriales et les entreprises qui sont associées en amont dans l’élaboration du programme.

Or, le Sommet Climat et Territoires qui s’est déroulé à Lyon a permis d’élaborer collectivement une déclaration, et il réunissait à la fois les collectivités, les entreprises, les ONGs environnementales, les peuples autochtones, les organisations de femmes, les syndicats… C’est une autre approche qui permet de mettre tout le monde autour de la table. Chacun apporte sa part, et est prêt à des compromis avec les autres.

Un élément très positif de la Ville de Paris en lien avec le débat de ce soir est à mettre en relation avec les convictions de Anne Hidalgo. Cette dernière a accepté qu’il y ait toute une journée d’études sur Genre et COP21 à l’Hôtel de Ville.

En effet, beaucoup d’écologistes à l’échelle internationale sont des femmes : Vandana Shiva, Naomi Klein, Wangari Maathai… Souvent dans les pays du Sud, celles qui portent les combats écologistes sont des femmes.

S’agissant du problème des réfugiés, l’essentiel concerne des déplacements internes et touche des femmes. En revanche, les réfugiés qui changent de pays sont souvent des hommes. Wangari Maathai par exemple a mené la bataille contre la déforestation en plantant des arbres, ce qui assure un revenu économique et une indépendance financière des femmes vis-à-vis des hommes. Tous ces sujets-là ne seront pas du tout abordés lors de la COP21.

La Ville de Paris prévoit des évènements avec la société civile, mais en les séparant de son évènement propre qui est revanche très relayé dans la communication de la Ville.

Au final, 2 000 places sont réservées à l’hippodrome de Longchamps. La Ville de Paris assure 750 places en gymnases. De plus, il existe un partenariat entre la Ville et l’association Yes, we camp, qui permet l’hébergement de 200 personnes dans le 14e arrondissement. Il faut comparer ces chiffres à l’évènement du Forum Social Européen en 2003 : 3 000 personnes étaient hébergées dans les gymnases.

L’action principale de Paris a trait à la location du 104 comme quartier général de la société civile : à 150 000 euros. La Ville de Paris prête le Petit Palais à l’ONU et le Grand Palais aux entreprises. Le 104 sera un lieu important de mobilisation, où se retrouvera toute la société civile.

En discutant avec les personnes de l’Hôtel de Ville, Jérôme et les élus écologistes se sont rendus compte qu’ils n’avaient pas compris ce qu’était une COP et ce qu’est la Coalition 21. Ils n’ont pas compris que la Coalition 21 ne réunit pas seulement des partenaires français : les syndicats présents à l’intérieur représentent leurs confédérations internationales et européennes, les ONGs environnementales à portée mondiales, des organisations catholiques, protestantes, luthériennes etc… La Coalition 21 représente un éventail d’acteurs très importants et pas seulement français. Par exemple, les Amis de la Terre réunissent près de 1,5 million de militants dans le monde.

Parfois les organisations des collectivités territoriales mènent des actions plus poussées que les Etats. C’est le cas de l’organisation des collectivités américaines alors que les Etats-Unis n’avaient pas ratifié le protocole de Kyoto à son époque. Or la Ville de Paris prévoit de faire une déclaration en amont du Sommet des 1000 maires en se liant à l’accord étatique qui se dessinera.

S’agissant des réfugiés, Jérôme Gleizes note que le problème repose dans la catégorisation des réfugiés. Par exemple, une nouvelle catégorie est apparue : les Syriens-Merkel. Ces derniers sont les réfugiés syriens acceptés par l’Allemagne et que la France ramène en France. En revanche, les Syriens déjà présents, les Syriens ramenés depuis les camps du Liban n’entrent pas dans cette catégorie et dans le même régime de droits.

La Ville de Paris ne s’est pas comportée vis-à-vis des réfugiés syriens comme on a pu le constater dans les années 2006-2007 vis-à-vis des Afghans avec des expulsions, des violences policières. Toutefois, tous les types de population sont mélangées dans les lieux mais sont traités juridiquement différemment. Les Syriens-Merkel bénéficient d’une procédure accélérée pour la demande d’asile. Mais les opérateurs sociaux comme Emmaus qui aident ces populations se plaignent de ces traitements différentiés et des situations ingérables entre les différentes catégories de réfugiés. Cette situation génère de la violence entre les réfugiés. Il y a notamment une distinction entre les réfugiés politiques et les migrants économiques. Or, la plupart de ces exilés proviennent de zones en guerre, Syrie, mais aussi Corne de l’Afrique.

La Corne de l’Afrique se trouve depuis 20 ans dans une situation d’insuffisance alimentaire. Même s’il n’y avait pas la guerre, il ne serait pas en capacité de se nourrir. De fait, la guerre amplifie les problèmes. Selon Jean-Christophe Rufin, « la kalachnikov est devenue un facteur de production« . Ceux qui détiennent des armes peuvent se livrer au piratage pour trouver des vivres. Cette situation nous pousse à revoir nos positions.