En 2016, défendre la paix et la fraternité … à nous de jouer !

Tribune, par Frédéric Guerrien et Randa Massot

2016 sera charnière pour redonner espoir et offrir un horizon désirable face à celles et ceux qui voudraient nous imposer une société sombre et belliqueuse. Et pourtant, en ce début d’année quand on se veut défenseur-e des valeurs d’humanité et de paix il faut du sang froid et de la lucidité pour ne pas tomber dans le désarroi, le replis sur soi ou dans le piège de la division et des affrontements fratricides ! Or, il y a urgence à retrouver la voie de la raison alors que l’escalade de la haine, les divisions et la dérive guerrière s’installent sournoisement dans les faits et dans les esprits. Au-delà de la barbarie des actes, il appartient à chacun-e d’entre nous de veiller à ne pas tomber dans le piège tendu : accentuer les fractures dans notre société.

Alors que celles et ceux qui ont vécu les horreurs de la deuxième guerre mondiale et ont défendu un projet de paix pour l’Europe et de progrès pour l’humanité sont amenés à partir peu à peu, il appartient aux premières générations qui n’ont pas connu la guerre en Europe de définir les conditions du maintien de la paix pour encore de nombreuses générations. Il n’y a pas de réponse simple à la violence et l’ignominie des attaques terroristes dont a fait l’objet la France mais il est de notre devoir citoyen de défendre les valeurs qui font la grandeur de la France et de l’Europe et de convaincre le plus grand nombre de s’engager dans la voie du combat pour la paix et l’égalité.

C’est pourquoi il est vital qu’à l’horreur et l’émotion déstabilisante provoquée par la barbarie de quelques un-e-s lors des attentats de Paris soit apportée une réponse humaniste ferme et déterminée. Pour cela, il nous appartient à chacun-e de redoubler d’efforts pour continuer à vivre, défendre le progrès et l’état de droit, la solidarité, la convivialité, la fraternité, et la démocratie. Et pourtant, en France, la menace de l’instauration d’un état d’urgence banalisé et la privation des droits qui l’accompagne vient de pair avec une stigmatisation et un dénigrement des forces progressistes et des plus faibles (mouvements écologistes, de soutien aux migrant-e-s, etc.) mais aussi un affaiblissement du pouvoir politique et judiciaire. Ne nous y trompons pas, ces phénomènes étaient déjà engagés avant les attentats qui ont frappé la France en 2015. Depuis des mois les défenseurs des droits humains et de l’environnement sont régulièrement désignés comme « violents » ou « dangereux pour l’ordre public » (les exemples de militant-e-s mobilisé-e-s à Sivens ou Notre Dame des Landes ou encore les amalgames faits à l’approche de la COP21 entre anarchistes et militant-e-s écologistes étant les plus frappants), les manifestations et rassemblements revendicatifs viennent à être interdits (dans le cadre de l’état d’urgence mais le phénomène avait déjà commencé comme l’illustre par exemple l’interdiction d’une manifestation en soutien à Gaza dès le mois de juillet 2014), pendant que tout est prétexte pour attiser les divisions et monter des catégories de la population les unes contres les autres (comme par exemple les propos douteux de l’alors ministre de l’intérieur Manuel Valls à l’encontre des Roms en septembre 2013). Il n’est pourtant pas si loin le temps où la gauche unanime, dénonçait un projet qui consistait à monter les français les uns contre les autres. Or malheureusement, la tension monte et les différences s’exacerbent au sein de la gauche.

En Europe, le projet politique fait d’un idéal de paix bâti autour d’un modèle social-démocrate teinté de solidarité et d’équité qui a guidé le projet européen après les horreurs de la deuxième guerre mondiale est paralysé au profit des intérêts économiques qui s’expriment dans le cadre du grand marché européen, de la concurrence « libre et non faussée » et de politiques budgétaires rigides. Là aussi, le phénomène n’est pas nouveau et le déni de démocratie et de solidarité subi par la Grèce l’an dernier s’inscrit en réalité dans une dérive plus large entamée depuis de nombreuses années et qui est exacerbée depuis le référendum de 2005 et la crise financière de 2008. Le sursaut démocratique en Grèce a vite fait de se retourner contre ce peuple et ses dirigeants élus démocratiquement qui pendant toute la dernière crise de cet été ont été caricaturés comme des truands et des incompétents, incapables de comprendre les véritables enjeux de l’Europe pour finalement se faire balayer par leurs homologues européens fin juillet. Sur le plan des droits fondamentaux, les discours et mesures xénophobes de la part de partis politiques mais aussi parfois de gouvernements européens (comme la Hongrie qui a construit un « mur anti-migrants » à la frontière avec la Serbie à l’été 2015 ou en Slovaquie où le premier ministre veut « surveiller chaque musulman ») sont en pleine recrudescence tandis que les partis dominants cultivent l’ambigüité, faisant ainsi le lit des extrêmes. Malheureusement le passé de l’Europe ne nous rassure pas et le rôle des politiques dans la (re)montée des thèses xénophobes est réel. Concrètement les thèses de l’extrême droite sont progressivement banalisées en France, en Suisse, en Hongrie, en Finlande, en Pologne, en Roumanie, … Tandis que l’extrême droite bénéficie en Europe du soutien financier des évangélistes et néoconservateurs américains, les partis politiques dominants en Europe ont aussi leur part de responsabilité dans la reprise des thèses d’extrême droite dans le débat politique. Et la France n’est malheureusement pas en reste comme l’illustre entre autres la récente et triste proposition faite par le Président de la République d’inscrire la possibilité de déchéance de la nationalité française pour les binationaux nés français condamnés pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation … soit une vieille revendication du Front national ! Quand la nation qui se prétend être celle des droits de l’homme vient à remanier son droit fondamental pour renier ses propres enfants, quelque chose ne tourne pas rond …

Dans le monde, la brutalité du capitalisme globalisé et les provocations guerrières de groupes comme les islamistes radicaux, les narcotraficants, mais aussi les néo-conservateurs américains agissent comme autant de coups de boutoirs sur les sociétés universalistes, solidaires, équitables que la communauté internationale construit depuis des décennies. Là aussi le phénomène s’inscrit dans une stratégie teintée d’idéologie : la vague libérale entamée dans les années 80 aux Etats-Unis et en Angleterre puis la chute du mur de Berlin ont consacré un modèle libre-échangiste et réduisant les pouvoirs de l’Etat et du politique à leurs fonctions minimales, antinomique avec celui du bien-être et de la solidarité, mais aussi dans une certaine mesure de paix que défendent les organismes internationaux créés à l’issue de la deuxième guerre mondiale (ONU et UE notamment).

 

Le modèle européen construit sur les corps des dizaines de millions de morts après la Seconde guerre mondiale avait pour double finalité de reconstruire une Europe prospère et de maintenir la paix et l’amitié entre les peuples du vieux continent. Jusqu’en 2007, les différents présidents français se sont inscrits dans cette lignée jusqu’à la « rupture » prônée par Nicolas Sarkozy, premier président né après la deuxième guerre mondiale. A forces de provocations, d’amalgames et de stigmatisation de pans entiers des forces vives de la Nation, mais aussi par le biais d’un investissement sans précédent dans la communication politique, Sarkozy a ouvert la voie à une remise en cause des valeurs universelles des lumières et des Droits de l’Homme, a attisé les tensions et cultivé les divisions au sein de la société française, mais aussi favorisé la consolidation d’une société sécuritaire. Le positionnement assumé mais aussi la « méthode » de Manuel Valls s’inscrivent trop souvent dans la même lignée et les modifications proposées dans la Constitution française relèvent de cette logique et des évolutions entamées depuis une dizaine d’années par Nicolas Sarkozy. Elles ne sont pas circonstancielles dans le fond, même si l’exécutif s’appuie sur des circonstances à plusieurs égards exceptionnelles et tragiques pour les inscrire dans la durée. Mais ne nous y trompons pas, les tendances l’œuvre ont pour effet un glissement du pouvoir du politique vers des intérêts privés, le pouvoir administratif et militaro-policier au détriment du politique et du judiciaire. En somme, il y a un vrai risque d’affaiblissement de la démocratie.

Et pourtant, le vote contre lors du référendum sur la « Constitution » européenne en 2005, les millions de personnes qui se sont réunies spontanément dans les rues pour défendre les valeurs de liberté, égalité, fraternité après les attentats de janvier 2015, les formidables mobilisations citoyennes en soutien des migrants l’été dernier ou lors de la COP 21 malgré les interdictions administratives montrent que le feu des valeurs et de l’humanisme restent très vivaces dans le « peuple de France ». Ce « foyer de résistance » peut à tout moment redevenir un brasier et enflammer ce peuple rebelle et imprévisible. C’est pourquoi il convient de garder calme et détermination et faire preuve de pédagogie, partout, tous les jours, chacun-e à son niveau pour faire vivre le débat, la démocratie, défendre la convivialité, l’écoute, la médiation plutôt que la haine, la suspicion, et l’affrontement. Bref, en tant que militant-e-s politiques et associatifs, il nous revient de ne pas sombrer dans la société de la peur et de réveiller les consciences et convaincre, convaincre, convaincre jusqu’à redevenir majoritaires. Alors que l’instauration de l’Etat d’urgence et les abus en tous genres ont aussi pour cibles les « poches de résistance », transformons au contraire celles-ci en « terreaux du bon sens » pour qu’à partir de ces derniers les valeurs auxquelles nous croyons et qui ont été défendues au fil des siècles depuis les lumières puissent vivre et croître.

La nécessité de renouer le lien entre action politique et aspirations citoyennes ou avec « la société civile » est un thème récurrent du débat politico-médiatique des dernières années, même s’il peine à se concrétiser, entre autres parce que les partis politiques sont enfermés dans leurs propres logiques et peinent à réellement laisser une place à celles et ceux qui pourraient apporter un sang neuf. En janvier dernier 4 millions de français-e-s sont descendus spontanément dans les rues en réponse à la terreur et pour défendre nos valeurs de liberté, égalité, fraternité mais aussi de tolérance, mixités ethnique et sociale, paix et solidarités. Elles et ils ont fait notre fierté d’être français, non pas sur le rejet mais sur l’affirmation de nos valeurs. Sachons entendre le message et défendre le modèle français, celui qui sait faire une place à tou-te-s et à chacun-e, qui ne clive ni n’attise les haines mais rassemble et respecte. Le monde a les yeux posés sur nous, montrons lui de quoi nous sommes capables !

À l’aveuglement de la haine et du fascisme en Europe, les vainqueurs de 1945 ont répondu par l’union, l’humanisme, la solidarité, l’égalité pour défendre un modèle durable de paix. Ce sont ces valeurs que nous devons rappeler et défendre coûte que coûte aujourd’hui, à toutes les échelles et fièrement pour redessiner une autre politique et un avenir … dès 2016 !